vendredi 20 novembre 2009

Stations urbaines - Texte de Sébastien Noulet

Arrivés au pied du building de l’internat de l’U.T., nous prenons l’ascenseur au compte-gouttes, jusqu’au terminus, le toit. En haut, nous débouchons dans une sorte de tour de contrôle en verre. Avant même de prendre le temps de m’asseoir sur les tapis, coussins et matelas de campement disposés au sol, je suis happé par la vue panoramique de la ville. Me coupant de l’univers de cette cage transparente, je sors directement sur la terrasse. Un vent souffle à grandes bouffées et emporte une voix qui crache par des haut-parleurs. J’entends des bribes de paroles nerveuses, agitées comme les feuilles d’un arbre et admire les terrils qui encercle le cœur de Charleroi.
De retour à l’intérieur, j’écoute plus attentivement cette voix qui sont en fait des voix. Encore éclaboussé par la vue à 360°, j’essaie de pénétrer dans l’univers, plus hermétique, de l’installation. Je m’adresse à Maya Bösch qui m’explique le travail accompli quatre mois durant par quatorze acteurs, chacun ayant pour rôle l’un des quatorze personnages d’Ein Sportstück. Ce texte est une expérience d’écriture automatique d’Elfriede Jelinek, auteure autrichienne connue entre autres pour son livre La pianiste, adapté au cinéma par Michael Haneke. Au cours de ce que Maya Bösch appelle un «marathon», les comédiens se sont relayés dans une cabine d’enregistrement et ont lu «sans pause, sans rature, sans reprise», obligés d’accepter les «imperfections et hésitations» de l’auteure et de son texte. Et le texte est long, très long: sa lecture dure 5 heures!
Elfriede Jelinek l’a écrit d’une traite, coulant toutes ses tripes, sa rage, ses cauchemars… On est pris dans un corps à corps, un déversement d’idées, une révolte nourrie du dégoût de soi et des autres. Elle reprend sans ordre ni distinction des pensées, des phrases toutes faites, des extraits de discours politiques, de publicité, de poèmes… Elle se met dans la peau d’une mère, d’un fils, d’un homme, d’un sportif, d’un autre… Deux personnages sortent du lot: la mère et le fils. La mère crie sa douleur, son incompréhension, elle a perdu son enfant à la guerre. Le fils rêve de devenir un héros et jure contre sa mère. Comme dans les classiques grecs, un chœur scande l’infortune des hommes qui se prennent pour dieu et un homme clame, radical: «comme ça, le Fürher saura exactement qui est où, qui est où qui est où!». Et je réalise que je suis toujours dans cette cage de verre, à l’abri du vent, mais visible de tous.
Je ne peux pas rester tout au long des cinq heures de l’installation. Pourtant, la demi-heure que j’y passe me laisse des morsures profondes et quand je quitte ce panorama cruel de notre société et monte dans l’ascenseur, j’entends, comme un verdict sans issue, «les guerres, je les rejette en bloc!». Et ce n’était encore que le début de cette performance/lecture…

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