samedi 12 décembre 2009

Itinéraire - Texte d'Anne-Sophie Fostier

Dans une pièce qui porte à merveille son nom, Mélanie Munt nous invite à voyager avec elle. D'abord coinçée entre les parois d'une forme en bois, elle s'essaie à toutes une série de mouvements. Plutôt cocasse puisque l'espace est exigu; elle s'y retrouve pliée en deux, trois, quatre! Ensuite, le voyage continue sur le reste du plateau. Chaussée de ses talons, elle y tatonne, se trompe, cherche. Son mouvement empli de légèreté et de poésie est comme un livre ouvert; il nous offre généreusement les émotions de son personnage. S'en suit tout un épisode dans lequel le décor prend le devant: une image de synthèse nous montre son double, égaré dans une forêt verdoyante. Une mélodie légère en guise de compagnon, nous nous y baladons volontiers avec elle. Après quoi, le vidéaste Antonin de Bemels s'en donne à coeur joie en peignant et dessinant virtuellement les contours de la danseuse, un peu comme s'il lui offrait une nouvelle peau. Une nouvelle dimension au voyage d'apparaître alors... Pour se terminer par une séquence d'embrassades... qui n'auront pas lieu...
Itinéraire... Nos petits actes manqués, quotidiens, traités avec une distance pleine de tendresse.

vendredi 4 décembre 2009

Chambre(s) d'hôtel - Texte de Ludivine Joinnot

Hotel rooms dans un passage de cour intérieure
c’est le soir, le clair de lune, les voyeurs
fenêtre ouverte sur une fiction-réalité
dérangement assuré par nos regards indiscrets
qui ont presque l’angoisse d’être impuissants


Hotel rooms dans une caravane fermée à clé
emprisonnement sans prison, sans prisonniers
le boxeur en fin de carrière, belliqueux et vicieux
la call-girl provocante qui n’a pas froid aux yeux
et puis, la femme de ménage qui passait par là


Il est attaché au cou comme un chien méchant
elle se trémousse devant la vitrine, l’air aguichant
et puis, la femme de chambre, témoin de la scène
comme nous, prise par cette histoire malsaine
tous plantés là, dans le décor d’une impudeur dérangeante


Trois à danser, trois à souffrir, trois à tenter de s’arracher
les chaînes qui les clôturent dans leur intimité dévoilée
la musique électronique témoigne du voyage intérieur
aussi important que les kilomètres parcourus sur le chemin du voyageur
une vidéo-danse live en milieu urbain


Les performeurs ne sont pas les seuls à être mis à l’avant plan
ils sont trois encore, ils sont le pied dans le palpable perturbant
ils parlent, dans l’espace de la cabine d’à côté,
interrogés par une journaliste qui veut nous montrer
leur vie de tous les jours, telle qu’elle est


Successivement, chacun peut, s’il le veut, s’arrêter
le temps d’un temps, souffler et s’informer
des écouteurs sont placés à disposition
de qui souhaite suivre la conversation
loin des mouvements bousculant des corps violents


Entendre un boxeur professionnel parler de ses combats
une femme de ménage raconter comment elle est arrivée là
une call-girl expliquer son quotidien
la vie, sans artifice, le chemin de chacun
trois fois cinquante minutes de découvertes, de crispations aussi


«Les clients, on les croise»
le volet se ferme pour temporiser
les émotions dégagées
les halètements retenus
les yeux écarquillés entre fiction et réalité
il est temps de partir, d’aller à la rencontre d’autres urbanités

jeudi 3 décembre 2009

Equi voci - Photos de Thierry De Mey et Julien Lambert






Equi voci - Texte de Ludivine Joinnot

Equi voci, un spectacle polymorphe…
Mon premier est un ensemble de diverses pièces musicales jouées par le Brussels Philharmonic de la VRO, placé sous la direction de Michel Tabachnik, chef d’orchestre et directeur artistique.
Mon deuxième est un ensemble de films de danse dont le montage s’opère en temps réel et est projeté sur un triptyque d’écrans. Le dispositif interactif produit des tableaux qui s’enchevêtrent suivant les injonctions gestuelles du chef d’orchestre.
Mon troisième est un ensemble d’images qui s’enchaînent et créent, avec la musique, un moment extraordinaire où chacun reste ébloui.
Mon tout est… Equi Voci!


Prélude à la mer
Film de Thierry De Mey, Prélude à la mer se joue en silence d’abord, puis sur La mer de Claude Debussy, dans un décor absolument magique, éblouissant: la mer d’Aral. La chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker a imaginé des jeux permanents à même le sol entre une femme et un homme, étonnants dans leur substitution et ressemblance. Cynthia Loemij et Marc Lorimer évoluent dans cet espace désert. Tantôt humains, tantôt animaux, ils tracent, sur le sol, des mouvements en toute délicatesse et précision. Le secret du détail se lit tant dans la danse que dans la caméra. Une mer d’Aral devenue lac salé qui se dessèche au milieu d’un désert. Un paysage peint de sable emporté par le vent. Un voile blanc: celui d’un désastre écologique entraînant, petit à petit, la disparition de l’eau. Calme d’un secret: celui d’un endroit qui parle en silence. Fugacité des choses, des mouvements, des âmes et de la nature. Pérennité factice.


La mer
Balade sur les voies navigables, à présent. L’orchestre poursuit son exploration de La mer de Claude Debussy. Une vingtaine de minutes à savourer. Un voyage sur une vague d’images tues que le spectateur s’invente lui-même à défaut de voir l’écran s’illuminer. Se laisser bercer par le flot de la musique, s’étonner du ressac des instruments qui s’assemblent pour un effet des plus enchanteurs.


Ma Mère l’Oye
Les images de Thierry De Mey glissent cette fois sur une composition de Maurice Ravel pour une transposition, en images et musique, des contes de Ma Mère l’Oye de Charles Perrault. Ici, chaque sens s’éveille ou se réveille. Régal des pupilles, festival de couleurs végétales, depuis une forêt fragile à un tapis de feuilles rouges… Une main se glisse sur l’écorce d’un arbre et la caresse, touche du bout de ses doigts effilés l’eau limpide d’un ruisseau. Des racines se confondent dans le sol, des troncs s’alignent en toute harmonie pour que s’éveille le toucher. La nuit bouscule le jour. Ou bien l’inverse. Le temps passe au travers d’un film, le temps s’arrête aussi. Les danseurs jouent à faire du feu, à se laisser tomber sur un sol jonché de feuilles mortes ou dans un petit ruisseau. Quatre bras. Quatre mains. Dont on ne sait plus lesquelles appartiennent à qui, tant les enchevêtrements se font complexes. Féerie. Etrangeté. Le cours d’eau. Un visage. L’eau claire. Le dynamisme. Celui des corps. Celui de la nature. Les sens tous en éveil, on croit rêver…


La valse
Composition de Maurice Ravel. Mise en scène de Thomas Hauert. Danses créées et interprétées par huit interprètes aussi vibrants que les violons de la partition. Rythmes multiples. Variations. L’orchestre s’impose et se libère, éblouissant de perfection. Tandis que les danseurs tournoient, voyagent de corps en corps. Huit félins agiles ramassant leurs pas au rythme de la musique, bras levés vers le ciel. Comme un hommage à la vie dans toute sa vibration. Harmonie sans pareil qui laisse s’enfuir le corps et l’esprit tout entier dans un ciel de coton.


Equi Voci, un ensemble à l’allure d’un parcours sans faute qui témoigne d’une émotion partagée. Grandiose, tout simplement…

mercredi 2 décembre 2009