samedi 28 novembre 2009

Clash - Texte de Julie Pirlot

Après Slipping, corps à corps sensuel et obsédant qui voyait s'affronter un homme et une femme au centre d'une cage pour fauves, Carmen Blanco Principal choisit d’interroger et de mettre en scène deux adolescents en quête de sens, Ulysse et Tristan, que la chorégraphe lance dans un duel verbal, physique et musical.


Huit personnes assises dos au public. On se projette dans une classe d’élèves attentifs. Ulysse se retourne, regarde, il se lève, provoque les autres: envie de foutre le trouble dans cette salle si calme. Perturbateur. Il saute, insulte, distrait, siffle, rote! Ses camarades restent sans réactions, inertes. «Tu veux voir mon cul? C’est gratuit…» Langage d’adolescent rebelle, brut, sans censure. Ulysse se rassied, tourne son visage vers les gradins, mais cette fois-ci, il n'est pas seul: ils sont deux à se lever et c’est par surprise que l’on découvre que les autres corps ne sont que mannequins.
Un face à face débute entre les deux adolescents, le combat a commencé. A droite, Ulysse! A gauche, Tristan! La salle de classe se transforme en ring de boxe. Chacun est accompagné de sa mère, comme si elle était son coach sportif, entraîneur et supporter. En fond sonore, les mères racontent l’enfance de leurs fils, leurs joies, ambitions, passions. Une innocence qui marque une image contradictoire: les deux garçons en train de s’échauffer, la haine dans le sang. En fond de scène, sur un écran, des images défilent, comme des souvenirs d’enfance, des bouts de films super huit de gamins pleins de vie...
Tristan saute et frappe une cloche: annonce de la première bataille. Des lumières de rue apparaissent, floues, sur l’écran. Il prend le micro et commence à rapper. Sur un ton relativement agressif, il libère son cœur et sa tête. Ulysse, lui, actionne la descende d’un immense cadre en métal qui vient enfermé Tristan et limiter l'espace où se passera désormais leur battle. Ulysse provoque son compagnon-adversaire, le nargue. La violence est omniprésente. De sa main il presse la détente comme si d’une arme, il stoppait son adversaire. La cloche sonne à nouveau. Cette fois, c’est à Ulysse de se lancer, il applaudit, fort, encore plus fort… La musique prolonge le rythme de ses mains, et sur un mélange entre hip-hop et flamenco, il danse. Comme un animal en cage, il regarde, prêt à l’attaque, se déplace les mains au sol. Tel un félin, il bondit, impressionne par ses saltos.
Ces premières épreuves achevées, les deux ados (tout juste 18 ans) se font cajoler par leur mère: massage, bouteille d’eau, petit encouragement à l’oreille. Puis s’en vont...
De nouveau face à face, Ulysse et Tristan se provoquent, l’un rappe, l’autre réplique à coups de citations très drôles et vulgaires, en référence à plusieurs films: Le père noël est une ordure, Dikkenek, Scarface… «Je sais que j’plais pas à tout le monde. Mais quand j’vois à qui j’plais pas, j’me demande si ça m’dérange». Cette phrase est significative de l'optique de mise en scène choisie. Ils ne cherchent pas à plaire, et c’est bien pour cela que le public serait choqué par certains leurs discours, certains de leurs gestes. Les insultes éclatent: «Je t'encule Thérèse! Je te prends, je te retourne contre le mur, je te baise par tous les trous, je te défonce», lance Ulysse à son adversaire. Ils se rabaissent l’un l’autre, mais s’encouragent aussi à devenir plus forts. «Dieu aime regarder les gens. Pour son propre divertissement. Il établit des règles. Il se fend bien la gueule. C’est un refoulé, un proprio qu’habite même pas l’immeuble…» Ulysse critique Dieu, il n’a plus foi en rien, la colère le ronge.
Un jeu de larges bandes blanches projetée au sol. Comme sur un passage pour piétons, Ulysse et Tristan avancent… et le temps s’arrête. Ils s’ignorent, passent l’un à coté de l’autre. Une télécommande dans les mains, pause, play, review…
La compétition continue, chacun de leur coté, ils graffent les murs avec un pochoir les représentant. Collent des affiches d’eux-mêmes. C’est maintenant par le beat-box que Tristan s’exprime. Ulysse s’épuise, se laisse posséder sur le ton et le rythme donnés par son adversaire. Des images défilent au sol à toute vitesse comme une anarchie sous son corps.
Le beat-box terminé, sans transition, du hip-hop au parfum de berceuse. Au sol, Ulysse se recroqueville sur lui-même, se tord, se cherche, danse comme s'il prenait sur lui toute sa colère. Une remise en question?
Tristan vient déposer un sac de jouets sur la scène. Ulysse se relève et l'ouvre. Avec une nostalgie d’enfance, il découvre ses anciens jouets. Un ours en peluche à la main, il le caresse, sourit. Comme un apaisement. On pense que toute cette violence est terminée. En vain… Une explosion apparaît à l’écran, des lumières stroboscopiques émettent des éclairs en noir et blanc. La scène se fige, le public aussi… Ulysse rentre subitement dans une rage, une colère noire qui le pousse à tout détruire. Il balance, explose, jette, démoli tous ses souvenirs… C’est contre les murs qu’il s’abandonne à son mal-être intérieur. Le cœur s’accélère, qui n’a jamais eu envie de tout anéantir?
Tout est détruit, tout est fini. Les deux adolescents s’avancent et regardent le public fixement. Ulysse tient une poupée à la main, et d’un air fier, la décapite. Il sourit plein d’arrogance... Clash, les traces d'un conflit qui n’est pas seulement extérieur mais intérieur. Et loin d’être terminé…