jeudi 19 novembre 2009

Street performance - Texte de Julie Pirlot

Place Charles II, Charleroi. L’entrée principale de l’hôtel-de-ville est fermée, condamnée. Des bandes de sécurité se dressent tout autour comme pour prévenir d’un danger. Au milieu de cet espace mis en isolement, sont disposés dans une forme ovale huit monticules de terre soigneusement tassée. Un fil rouge les traverse. L’intrigue est au rendez-vous. Ce qui met la puce à l’oreille des passants, qui se rassemblent de plus en plus, se sont deux extincteurs se trouvant non loin de l'installation.
Un cérémonial commence. Un tube de verre à la main, Gwendoline Robin le traîne au sol comme une arme, le braque sur nous. Une flamme parcourt le cylindre. Pleine de sang froid, l'artiste-performeure s’avance et, par ce tube qui brûle dans sa paume, elle met le feu à la mèche rouge. Elle marche, marche, contourne le cercle que forme les terrils, comme pour nier la catastrophe annoncée. Elle court, court, comme pour éviter la catastrophe…
Première EXPLOSION! Véritablement minées, les petites montagnes de terre éclatent, une à une, violemment. Tel un soldat en pleine guerre, la performeure se déplace, saute par-dessus les amas complètement détruits par ce fil rouge si discret mais pourtant si redoutable, évite les déflagrations, les détonations. Une panique envahit le public. On recule, on se protège, on évite la terre qui jaillit, gicle, bondit! Des fragments agressent notre corps. Sous le choc, le public est paralysé, le regard braqué sur la téméraire.
Comme une révolution qui prend fin, tout devient calme. Devant nous, Gwendoline Robin enfile une «combinaison» digne d’un terroriste! Protégé de la tête au pied, son corps est pourtant parcouru de fils nous rappelant les récentes explosions de terre. Un casque sur la tête, des explosifs aux chevilles… La flamme du briquet s’approche de tout ce matériel dominant l’habit blanc. Une panique s’installe.
BOOM! A son tour, elle s’enflamme, détone, une tonne de fumée s’échappe d’elle et envahit tout l’espace. Au-dessus de nos têtes tout est couvert, invisible, une odeur abominable s’échappe, s’estompe...
Une performance courte mais époustouflante!

Event - Texte de Vincent Desoutter


Capter l'esprit d'un lieu et le restituer à travers une chorégraphie, le cheval de bataille de feu Merce Cunningham lors de ses Events.


Le précurseur et le déjà-vu...
Sur un plateau nu, c'est en rouge et orange que les treize danseurs de la Merce Cunningham Company restitue intact le langage chorégraphique de leur maître. Des corps articulant des géométries, des lignes, des angles marqués. Des figures défiant l'équilibre, des bonds, des portés... Le corps est présenté dans toutes ses dimensions. Corps-objet modélisé virtuellement. Le tout est exécuté avec grande souplesse. La danse, affaire ici de virtuoses, revêt un caractère automatique, robotisé. Les vitesses et les dynamiques, très diverses, entretiennent un flux continu où les rencontres semblent calculées au plus juste. La calcul est omniprésent dans l'esprit des danseurs. Que ce soit en répétitions où ils travaillent en silence pour mieux pouvoir compter ou en représentation où ils s'obligent à faire abstraction de la musique pour ne pas perdre le fil de leur partition chiffrée.


Une bande son étouffante
Prolongement des collaborations avec John Cage, la bande son est improvisée mais obéit à une structure précise traitée mathématiquement. Assemblage de sons électroniques distordus, de notes pincées sur un violon et de plaintes surréalistes. Un certain aspect mystique s'en dégage et rappelle le travail déjà esquissé dans Squaregame. Peu à peu, le spectateur est enserré, prisonnier de cette discordance sonore. Prenant le pas sur la chorégraphie, la bande son allonge et rend pénible l'expérience d'Event. Petit à petit, on perd toute empathie pour ces treize danseurs tenant des figures que l'on devine douloureuses. Une réelle frustration, car ce n'est pas l'absence d'adéquation entre musique et chorégraphie qui fait ressentir cette perte mais bien la puissance démesurée accordée à la dimension sonore.


L'arbre qui cache l'immobile forêt?
La performance et la technicité des interprètes exercent un charme hypnotique rendu progressivement quasi caduque par une musique envahissante. Merce Cunningham chercherait-il ici à cacher sa danse? Tant d'éléments chorégraphiques rappellent ses pièces antérieures qu'on se demande comment son langage parvient à s'oxygéner...
Un précurseur, soit, mais ne sortant pas de son créneau: l'impression qui subsiste de ce grand chorégraphe. Comme une absence de prise de risque. Le risque de passer à autre chose et d'oser réellement différemment. Auto-alimentation qui conduit à une attente. L'attente du silence... Dommage que ses collaborations avec John Cage n'aient pas également fructifié en ce sens.
3'34" de silence à la mémoire d'un Event trop saturé.

Street performance - Texte de Vincent Desoutter

Inquiétude 
Sur le parvis de l'hôtel-de-ville, huit «terriers» jonchent le pavé. La clôture du périmètre, et surtout la mèche rouge qui relie ces monceaux de terre, éveillent un sentiment d'inquiétude. Gwendoline Robin s'y présente, l'air concentré, les traits durcis. Armée d'un tube de verre, elle entame une brève danse, tournant et se laissant entraîner par la force et le poids de son outil, comme sur le point de perdre sa maîtrise. Après y avoir introduit une mèche et mis le feu aux poudres, elle crache une épaisse fumée en direction des gens massés autour du périmètre sécurisé. Une fois le verre fumé, l'ustensile est abandonné, consumé. La performeure s'attaque alors à la seconde mèche, rouge, et entame une course de plus en plus effrénée autour de son installation. La flamme sur la mèche, elle aussi, ne s'arrête pas... L'accélération progressive renforce un sentiment de danger imminent.


Dans le feu de l'action
Soudain, une explosion, assourdissante. Choc d'une grande violence, véritable bombe. Des éclats de terre jaillissent jusqu'au public. Mouvement de recul de la foule comme un seul homme. Pas de répit. Les explosions s'enchaînent autour de la performeure, dangereusement exposée. Entre deux flashes et nuages de fumée, on la voit tournoyant, projetée d'une déflagration à l'autre. Ambiance apocalyptique. Comme rebondissant sur un champ de mines, Gwendoline Robin met en scène un jeu cruel où la chair devient viande, tant sa propre explosion apparaît comme seule issue possible. Chaque détonation serre les tripes, opprime le cœur.


Sérénité
Le calme revenu, la «pyroplasticienne» se dirige résolument vers les marches de l'hôtel-de-ville pour y enfiler une combinaison ignifugée. Préparation méthodique à sa propre mise à mort. A ses chevilles, de solides charges explosives amarrées. Dans son expression, une détermination qui évoque une figure kamikaze. Après avoir allumé la mèche, elle esquisse quelques pas, prend subitement feu, disparaît. Sa silhouette même s'efface dans un nuage opaque aux relents de soufre.


Terrorisme artistique
L'espace public est ici en proie à une intervention qui tient de l'attentat. D'abord, avec l'explosion progressive de l'installation. Ensuite, avec la destruction symbolique du corps de son interprète. Enfin, avec l'annihilation de la notion même d'espace. Le souffle des explosions a largement dépassé le cadre strict du rectangle enrubanné, forme géométrique désormais oubliée. Un choc irrévocable. Un parfum de définitif, de plein, entre l'explosion des pains de plastique et la plastique des explosions. Hébétés, les témoins cherchent à reprendre leur souffle. Quelques-uns se relèvent ou osent timidement se remettre à découvert. La violence n'a laissé personne indemne.