mardi 1 décembre 2009

From inside - Texte de Vincent Desoutter

Dispositif interactif de projection en triptyque, From inside explore différents espaces chorégraphiques: Francfort, Gibellina et Kinshasa (dans son état actuel). Les trois écrans de cette installation englobent le regard et offrent une vision panoramique d'une grande qualité photographique. Trois fenêtres de lumière projetées au sol, associées aux trois écrans, permettent des interactions différentes selon l'univers chorégraphique choisi.


Faire sonner l'espace
A Francfort, on suit les danseurs de William Forsythe articulant leurs mouvements au milieu de longues tables (extraits de la pièce One flat thing reproduced). Les trois fenêtres de lumière permettent ici un jeu sur le son. Le spectateur passif n'entendra que le son mat des corps sur les tables, tandis que l'actif pourra donner une atmosphère musicale à la pièce. Un son qu'il pourra générer en se plaçant dans les trois fenêtres de lumière et en balayant l'espace. La modulation du son ainsi généré s'opère selon la vitesse et la hauteur des mouvements. Chaque fenêtre de lumière a son propre spectre sonore sur lequel jouer (ce qui invite à jouer à plusieurs).
Les images projetées ne peuvent, elles, être influencées en temps réel, seulement indirectement, après une durée prédéterminée, et le lien de cause à effet ne semble pas particulièrement évident. L'approche de la pièce de William Forsythe devient dès lors parcellaire et décousue, car le seul intérêt apparent est de rajouter une durée de vie artificielle à l'installation: couvrir tout l'éventail de possibilités relève de l'acharnement, et comme la racine de l'arbre reste la même, le jeu devient rapidement répétitif et lassant.


Bifurcations dans l'espace
A Gibellina, ville de Sicile dévastée par un tremblement de terre, l'idée est de suivre le parcours de danseurs au sein d'un immense labyrinthe blanc reprenant le tracé des anciennes rues de la ville. L'évolution et les errances des danseurs dans cet univers immaculé donnent lieu à des bifurcations. On suit le danseur de son choix en avançant dans la fenêtre de lumière qui lui est associée. Cet itinéraire dont on devient le protagoniste donne lieu à des rencontres différentes piochées dans un sextuor d'interprètes qui nous entraînent dans une course haletante. Un jeu avec les parois, pendant lequel les danseurs défient la gravité, accentue l'impression de désorientation. L'immersion dans ce labyrinthe est une invitation à la contemplation. Les interactions sont malheureusement restreintes (simples choix entre deux chemins) et restent très ponctuelles. Cependant, la qualité photographique des séquences projetées permet de faire oublier cette légère frustration.


Visites de l'espace
La ville de Kinshasa est traitée de manière plus documentaire. La seule interaction possible se résume à choisir le chapitre à regarder à partir d'un menu principal. Volet le plus exhaustif du triptyque, celui-ci propose des séquences décousues, parfois sans danse, et où la dimension spatiale semble moins creusée que dans les deux précédents univers. L'interaction passe pour gadget, et hormis la valeur ajoutée des trois écrans, on se demande ce que la projection gagne par rapport à celle d'un simple DVD...


Cohésion?
Le dispositif, trop inégal, peine à convaincre dans son ensemble. La ligne conductrice (celle d'habiter l'espace dansé) ne fonctionne pas toujours, notamment à Kinshasa. L'illusion d'être réellement plongé dans l'espace n'existe que dans le labyrinthe sicilien. Pour renforcer cette immersion dans l'espace, peut-être Thierry De Mey aurait-il gagné à articuler ses trois écrans davantage à angle droit pour littéralement enfermer le spectateur.
D'autre part, le côté interactif de l'installation déçoit par sa pauvreté. Les fenêtres de lumière, pensées comme des boutons de télécommande, développent seulement à Francfort un dispositif vraiment original: influencer la matière sonore en bougeant, ce qui invite à danser soi-même et à se réapproprier l'espace de l'installation. Autre défaut pratique, l'absence de facilité de retour vers le menu principal, source récurrente d'impatience: culture zapping quand tu nous tiens...
En bref? Un concept intéressant mais sous-exploité. Trois univers non dénués de charme mais qui restent hermétiques. Un goût d'inachevé. Et une diversité qui ne dialogue pas.

Engundele - Photos de Ula Sickle




Engundele - Texte de Sébastien Noulet

Engundele est une cérémonie traditionnelle de la province d’Equateur, au Congo. Lors de celle-ci, plusieurs ethnies issues des quatre coins de la province se réunissent pour mettre à plat toutes les tensions, déballer les rancunes et gommer les conflits, latents ou non. Le vecteur est la danse et le chant. Seules les adultes peuvent y participer, le plus souvent les personnalités importantes de chaque communauté présente. Pour délier les langues, l’agene, boisson locale, accompagne la fête. Jusqu’à l’aube, les adultes sont invités à démontrer leur virtuosité, à s’affronter par la danse et le chant. Tout est permis ou presque, le but étant de faire sortir ce qui doit l’être, d’évacuer les non-dits.
Sachant cela, on ne peut s’empêcher d’être surpris: le spectacle ne fait jamais (ou alors de manière par trop obscure) allusion au sujet. La chorégraphie n’a ni queue ni tête, mêlant sans aucune logique apparente les genres (traditionnel africain et contemporain occidental). La scénographie, composée entre autres de bidons rouillés et de plaques de tôle ondulée suspendues, n’est pas exploitée du tout. Quand, par exemple, Papy Ebotani sort un petit tas de bâtons en bois, on s’attend à une explosion de sons, mais rien… Sans parler de la projection d’une vidéo tout aussi obscure et sortant grossièrement du cadre/écran prévu. Enfin, malgré quelques enchaînements chorégraphiques prouvant un réel savoir-faire, Papy Ebotani et ses danseurs paraissent tout simplement absents. Résultat? Le spectacle laisse sceptique, voire indifférent.
Comment un sujet si fort a-t-il pu donner une pièce si faible? Et pourquoi ce manque d’enthousiasme flagrant?
Au risque de vouloir justifier un avis si tranché, il est essentiel d’expliquer le contexte qui a précédé la représentation… La Belgique a une fois de plus fait preuve de son hospitalité légendaire et a, pour une question de papier pas en règle, refusé l’accès de son territoire à une partie des danseurs de ce projet! Bloqués à l'aéroport, ils se sont vus infliger le traitement réservé à ceux que nous appelons les sans-papiers. Humiliés verbalement par la police, ils ont dû attendre deux jours avant de pouvoir retrouver leur liberté... Et pouvoir enfin travailler sur la finalisation de Engundele... Tant bien que mal... Mais peut-être avaient-ils davantage besoin de débattre avec le public sur des questions de société que de se donner en spectacle…