Odile Duboc lit et interprète un texte de John Cage, livré en 1950, lors d’une conférence sur l’art au vingtième siècle. Cet exposé, Lecture on Nothing, combine expressions idiomatiques, vérités et, surtout, surréalisme. Les mots s’élancent dans un automatisme enchaîné et s’enchevêtrent pour donner un résultat surprenant et évocateur. La contrainte se veut libre et tout devient possible.
En miroir à ce questionnement textuel, on pointe des danseurs, eux aussi, surréalistes dans leur manière de prendre la pause, de se révéler, d’étonner celui qui regarde. Pénétration dans un univers qu’on ne maîtrise pas du premier coup d’œil. Aucun relâchement n’est possible dans l’attention du spectateur. Celui-ci halète entre les corps qui jouent en mathématique dominée et la banderole de mots qui s’imbriquent les uns aux autres dans des phrases, en apparence, non liables entre elles. Tout est question de philosophie, de questionnements intérieurs, de légèreté, de structure, de méthode, de forme, de continuité, de rien aussi.
Le surréalisme chorégraphique rebondit sur un surréalisme verbal. Une toile, un paysage, des matériaux qui s’ajoutent aux danseurs et à la lectrice sur une scène lumineuse où la décontraction même calculée a toutes ses raisons d’être pour le plus grand plaisir de chacun. « Nous avons le sentiment que nous n’arrivons nulle part. C’est un plaisir qui continuera ».
Des leitmotivs font ricochet dans le mouvement de certains corps, dans le phrasé de John Cage, dans l’attitude générale d’Odile Duboc. L’exposé demande une ouverture de l’oreille, de l’œil, de l’esprit, pour mener à l’abstraction soudain matérialisée dans un discours. Des montagnes de vêtements se répandent sur le sol ; une danseuse se déshabille et ôte des couches et des couches de textile amoncelées.
Entre théâtre, lecture et danse, The End rassemble toutes ses chances de plaire à un public varié qui se prête volontiers au jeu de l’automatisme et de l’absence immédiat de sens. Le laisser aller est possible et le chemin, jusque-là, facile à trouver. La musicalité est présente entre les propos scandés sobrement par la lectrice et les pas des danseurs. Lesquels reproduisent diverses fins possibles pour un même spectacle. Des finalités proposées et pour lesquelles aucun choix définitif ne pourrait s’établir. Toute fin est éternel recommencement. Dans les mots, dans les pas.
Odile Duboc, en quasi finalité, se prête elle aussi aux fourmillements des jambes, en accord avec le reste des danseurs et les verbes tus cette fois. Les corps se lâchent dans des cris puissants et des accords de mouvements avant chaque nouvelle partie de la chorégraphie ou du discours. On ne sait finalement plus trop sur quel pied danser tant on danse même intérieurement.
« Qu’importe ce que je dis et comment je le dis. […] Rien de plus que rien ne peut être dit », nous annonce John Cage. Le plaisir s’intensifie, les questionnements sur la place de la danse, du théâtre, des lettres et de la lecture interviennent pour intimer le public à porter la création en totale activité et non en passivité. Il ne convient pas de regarder, il faut aussi voir et participer de l’intérieur.
Le réveil des sens, le sourire, les bouleversements intrinsèques, Joanne Leighton les accumule pour surprendre, contrôler avec virtuosité l’ensemble qui n’est ni pièce, ni spectacle, ni lecture mais les trois à la fois.
Que les leitmotivs ne s’arrêtent pas et reviennent murmurer des vérités évolutives pour le plaisir d’un laisser aller au plus profond de soi, loin de la censure, de l’auto critique, du jugement ou du tabou.