Le rideau s'ouvre sur une ambiance brumeuse, où l'on ne sait vraiment ce qui tient de la projection et de la réalité. Dans un premier temps, la plastique du plateau met à mal les repères visuels et intrigue. C'est donc sur un registre essentiellement contemplatif que se dévoile Neige. Puis la lumière se fait sur un plateau immaculé, recouvert de poudreuse. Le fond noir, impénétrable, ouvre un espace épuré et désolé, comme sans limites. Tout de blanc et noir vêtus, les danseurs peuvent à loisir s'y fondre ou, au contraire, par jeu de contraste, mieux s'en détacher. Le travail des lumières et les variations de puissance de la neige permettent un jeu entre présence et absence des corps, des espaces.
Solo d'une première danseuse, comme sur le point de basculer à tout instant. Gardant longuement les mêmes appuis, elle surprend par sa posture et construit toute une variation autour de l'oscillation, comme si, clouée sur place, elle ne pouvait se mouvoir qu'au niveau du tronc. Puis, peu à peu, le fond du plateau dévoile quelques formes éparses. Des corps amoncelés, comme oubliés là. Tour à tour, ces figures sortent de leur torpeur et quittent la station horizontale pour déambuler, danser, et surtout combattre pour s'affirmer. Luttes intestines, situations de conflit dans le rapport à l'autre, c'est toujours dans une posture de combat que les corps s'expriment.
Rarement la pièce construit des instants rassemblant les six danseurs: une bataille de boules de neige, traitée sur le mode récréatif, en est l'exemple le plus probant. Une rupture claire avec la structure de la pièce basée essentiellement sur des soli à la chorégraphie plus formelle. De rares interludes littéralement parachutés sans recherche de fil conducteur.
Sur le plan individuel, les danseurs essaient de dépasser l'invisible carcan qui les réfrène. La neige ne semble pourtant pas être en cause, puisque c'est bien avec cet élément que les danseurs jouent, que ce soit via des figures au sol ou en y imprimant d'éphémères empreintes. Le côté systématique de l'issue de ces soli peut agacer: irrémédiablement, face contre neige, les corps défaillent, et peu à peu, recouverts, on se surprend à les oublier aussi vite qu'on les a vus précédemment se redresser.
En couple, les luttes pointent à quelques reprises dans Neige, avec une gradation assez conventionnelle. Ainsi, on verra une danseuse contenue en permanence par son partenaire chaque fois qu'elle tente de prendre une certaine envergure, cherchant à déployer son potentiel. L'union avec l'autre ne semble pas ici permettre la moindre ouverture et confine au contraire la figure féminine dans une étreinte aux relents de machisme assez prononcés. Passé ce stade de possession d'un corps traité comme objet, la figure du duo tourne à la violence conjugale et conjuguée, dans une tension charnelle assez palpable.
Au final, Michèle Anne De Mey semble composer avec Éros et Thanatos, ficelles somme toute classiques. Les accords solennels de la 7e Symphonie de Beethoven donnent à l'ensemble une gravité qui peut sembler bien pompeuse dans une chorégraphie cyclique où quelques soubresauts de vie nous surprennent parfois dans ces corps désincarnés, le temps d'une pulsion charnelle plus animale. On regretterait presque le traitement plastique irréprochable qui semble parfois prendre le pas sur le parcours des danseurs, car c'est finalement de chair dont manque Neige.
Constante visuelle, ladite neige fait effet de poudre aux yeux, et les images apparaissant derrière cet écran perdent en impact et en spontanéité. Le charme de la danse n'opère qu'au travers d'une scénographie tapageuse, forte de ses artifices. Pourtant virtuoses, les danseurs le sont. Mais c'est dans la richesse du langage chorégraphique que l'ensemble, comble de l'ironie, laisse bien froid...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Réagissez, critiquez, encouragez... écrivez ;o!