samedi 14 novembre 2009

Danses du quotidien – Texte de Vincent Desoutter

Sur le sol, un tracé du plan de Charleroi. Des mouvements qui prennent des allures d'itinéraire. Les déplacements des 30 Carolos convoqués sur scène par la chorégraphe sont tantôt d’apparence purement fonctionnelle, tantôt plus dansants. Sur fond de déroulé horaire, les citoyens visitent leur quotidien et le donnent à vivre, autrement.
La microsociété présentée sur le plateau déambule de manière chorale et désaccordée dans un premier temps. Les interprètes remodèlent en permanence l'espace mais ce qui choque d'abord, c'est l'absence (le refus?) de contact entre ces individus. Question qui, par jeu de miroir, renvoie à notre propre rapport à l’altérité et à une confrontation entre intimité et espace public. Ainsi, les figures se croisent, s'esquivent, calculent leur chemin pour ne pas rentrer en collision avec l'autre. Reproduction juste mais relativement pessimiste de notre environnement. Avec bonheur, les cloisons vont cependant peu à peu tomber, les clivages disparaître.
Différentes saynètes sont ensuite interprétées par des groupes sociaux bien déterminés, ce qui donne l’impression d’une démarche documentaire, d’une classification d’ordre sociologique. D’une dynamique individuelle plurielle, on bascule vers une dynamique des groupes. Quelques éclats en solo viennent néanmoins parsemer l'ensemble. Des figures retiennent le regard, comme cet homme qui marche d’un pas exagérément militaire ou cette femme qui avance voutée, comme accablée par le poids des jours.
Délibérément mécaniques, les conventionnelles poignées de main en milieu professionnel reproduites sur le plateau manquent de spontanéité. Lorsque les citoyens quadrillent l'espace en formant des files d’attente, seuls quelques jeunes électrons libres semblent encore pouvoir jouir d'une certaine insouciance. Le monde adulte semble contraint à marcher au pas et rentrer dans les rangs. Une scène salutaire marque véritablement la rupture. Lorsque deux figures d’âges et d’horizon complètement différents émergent et «osent» danser sur une musique plus rythmique. Leur énergie communicative, par effet de contagion, gagne peu à peu l’ensemble du plateau. C’est avec beaucoup de bonheur que la pièce prend le contrepied de l’aspect mécanique et calculé de certaines séquences précédentes. La conclusion sera également un très beau témoignage de cette dynamique collective et donnera lieu à un rappel enflammé, où l’énergie se propagera  jusqu’aux gradins.
Danses du quotidien fait mouche en proposant de découvrir une réponse à cette automatisation du corps, par la représentation même de cette gigantesque machination sociétale. Les danseurs non professionnels laissent échapper quelques maladresses, des à-côtés perceptibles qui ne les desservent pas mais mettent en lumière leur fragilité. Débusquer la vie, la sensibilité, derrière la vie mise en danse, c’est entrevoir quelque chose de poignant dans les postures, quelque chose qui va bien au-delà de la simple reproduction du quotidien: c'est sentir une envie, celle de donner libre cours à une énergie que le cadre de la représentation bloquait jusqu'alors.

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