jeudi 26 novembre 2009

Demain - Texte de Ludivine Joinnot

Tête levée vers le ciel. Comme des signes de la main. Sensualité. Appel de l’air. Appel du ciel. Continuer de danser quand les techniciens surgissent. Oui. Pieds nus. Jouer avec l’espace. Eclairage en place. Décor surgissant de là-haut. Une toile. Toujours le silence. Circulation de l’air. Circulation de l’eau. Entre ombre(s) et lumière(s). Calme. Agilité paisible. Apaisement félin. Parfois sauvage. Musique. Etalement de cheveux blonds sur le sol. Tête qui se souvient. Et l’enfer.
Des murmures… «Je suppose que vous savez...» Angoisse. Sous la lampe. Le bruit. Les avions. Les autos. Les insectes. Ceux qui bourdonnent. Il y en a partout. Responsabilité. Tout s’arrête. Plus rien. Cela se propage. Les murmures. Le phénomène. L’épidémie. Les grésillements. Le corps recroquevillé. «Je suppose que vous savez...»
Volatilisée. Épuisée. Dans l’immensité. Dans la gravité. Le glas. On sonnera le glas. Puis, plus rien. «Einstein.» Assise. Des bourdonnements. Partout. L’ampleur du problème. La foule. Une voiture passe. Un couple s’embrasse. L’évolution au ralenti. Dans une rue.
«Nous n’avons pas le temps.» Elle trébuche. «C’est insupportable», l’angoisse de l’avenir. «La mer est très polluée.» Beethoven. «Tous les arbres ont brûlé Un mur éclairé. «Alors, j’ai souri Quand Michèle Noiret porte ses angoisses, elle dénoue ses cheveux.
La nuit va tomber. Comme le reste. Qu’a-t-elle dit, déjà? Cette envie de crier. Le doigt tendu. La 7e Symphonie. Comme dans Neige. Mais plus profond encore. Limpide, la musique retentit, claire et forte. Émouvante.
Le corps est aussi virtuose que la musique. Cohésion de l’ensemble. Les deux font alliance. Elle «funambulise» le lieu. Elle se l’approprie. Elle danse, fragile, et ramène, à elle, l’espace. De ces gestes que l’on fait quand on dessine des ombres chinoises sans en dessiner. Elle occupe tout l’espace. Comme la musique. Ses doigts jouent de la musique, justement. Frissons. Sans saccade. Déliés. Ruban de pas. Le décor évolue. Imperturbable, elle continue de danser quand les techniciens investissent à nouveau la scène. Une chaise. Le silence. Changement de décor. Elle dénoue ses cheveux. Elle s’assied. Délicatement. Elle est féminine. Elle est au bain. Comme Marat. Comme dans le tableau de David.
«La page blanche n’a rien à dire. Tout est à rien. La fenêtre est ouverte. Comme un appel. Un chien jappe. On toque à la porte. Elle se sent si bien à présent. Ici et maintenant. Elle lit. Le temps passe. Elle repose son livre. Le plancher grince. Le va et vient des passants. Le soleil pénètre dans l’entrée. Elle sourit. Impact. Une goutte d’eau éclate sur son front. Une mouche vole. Il fait sombre. Le temps défile. Ou quelque chose qui y ressemble. Il pleut dans la maison. Une nuée d’insectes. Elle se brûle les doigts. Elle veut se lever. Ouvre la porte. Un chien ronge les os de sa propre patte. Le torrent de boue l’emporte
«Tu me décoiffes», c’est son inscription de sang à même le mur. «Il n’y a plus de chien. Plus de porte. Plus rien. Le monde est comme un bout de bois pourri. Impact Des angoisses. Lumière rouge. Elle penche la tête. De chaque côté. Pour détecter les gémissements, les cris, «les menaces de la page encore vierge.» Elle entend frapper à la porte. Ça cogne dans le corps. Ça cogne dans la tête. Le corps est happé. La lueur danse. La peur se lit sur son visage mais elle continue de danser, dans le tourbillon de sa folie, de sa frayeur. Ses cheveux tournoient. Le vent se lève. La terre tremble un peu. Des morceaux de terre viennent cogner les bruits. Tout s’écroule. Tout s’effondre. Des débris d’explosion plein le sol. A bout de souffle. Courir encore. Quand tout tombe. Quand tout tremble. Tout. Absolument tout. Le contraire du rien. Les débris sont les fractures du présent et laissent des cicatrices profondes pour les jours de demain. Malgré le bleu, le vert et le jaune.
Tout redevient plus calme. La pluie lavera les ombres, soignera le mal et apaisera la tempête. Puis, viendra la boue en bouillons. Et les billes en suspension. Atomes libérés et vivant ou morts. Chacun a le choix. Des bruits de pas. Devant. Une voiture. Elle, sur le fil. Et le vent. S’asseoir à la table. Près du verre encore vide. Comme dans une publicité pour un whisky. Sensuelle, elle se sert un verre. Blonde d’être elle. Qui est en face d’elle? Avec qui trinque-t-elle? Même elle ne le sait sans doute pas. Elle cherche des voix. Mais ne les voit pas. Elle se lève. Elle se rassied. Ses mouvements sont flous. Elle cherche encore. Ses cheveux sont flous aussi. Animalisée. Tête entre les mains. Humanisée. Disparaître. Bouger. Floue comme un fantôme. Un automate fantomatique. Fantôme de son propre corps. «Qui est là?» On ne sait toujours pas. S’en aller. Un fantôme. Un ange. Ou les deux. Le moment de transition. Bruit du vent. Tourbillon. Frissons. Tremblement de terre. S’asseoir à la table. S’y coucher. Le flou. L’angoisse. Tomber. Revenir. S’asseoir au sol. S’accrocher. S’écorcher. Être aspirée. Balancement. Drapé d’une robe. Les ombres chinoises. Les ombres qui errent. D’une vie blanche à une mort noire. Disparaître. Le fantôme. Flou. Revenir. Flou.
Même le vrai semble flou. Plus flou que le faux. Contre les murs, le faux est vrai. Le vrai est faux. Flou. Passer entre les murs. Et l’angoisse. Toucher les murs. Le long du couloir. Longer les murs. Disparaître. Revenir. Aspiration. Accrochée. Décrochée. Apeurée. Disons que l’angoisse, c’est la nuit à l’envers. Le flash. Un seul. Comme une photographie discrète. Pour immortaliser.
«Partout. Partout. Pas de lien qui. Je suppose que vous savez… Elle. Balance des bras. Elle. S’arrête.» Epuisée. S’arrête. Voilà que. Vous savez. Ne produisent plus rien. Nager dans l’air. Le brasser. L’embrasser. Absolument rien. «Ce phénomène, c’est un phénomène en tant que phénomène. Une étonnante épidémie. D’une gravité. Je suppose que vous, vous savez. Ce La. Cela se. Propage. Vol d’un insecte. Quatre-vingts pourcents en quelques mois. Pourcents. En quelques mois. Quatre-vingts pourcents en quelques mois. Morts Un mort traverse la pièce. «Volatilisé. Annihilé. L’immensité Les bras en croix. La gravité. Courber le dos. «Pour sonner le glas. Vous savez? Le glas! Einstein Lancer. «Déjà. Einstein. Prétendument. Quatre âmes nées. Soixante millions derrière, c’était normal. En tant que phénomène
Ambiance froide. La «responsabilité indubitable. La responsabilité partout. Pas de lien. Je suppose que Meurent-ils? Où vivent-ils? Où agonisent-ils? Et ses pattes… Et son corps… Et ce corps de danseuse allongé dans une lumière qui tomberait du ciel. L’angoisse. La peur. La peur de la mort. Une inconnue d’équation. Le souffle qui s’arrête après s’être accéléré. L’angoisse. Le mal. C’est sûr, elle va mourir. Nous allons tous mourir un jour. Mais pas maintenant. Même le drap humide ne la fera pas mourir. Le plancher craque. La porte grince. La nuit ferme ses verrous. La table se couche. L’angoisse se blottit au creux du ventre. Sensuelle encore dans son approche de l’ailleurs. D’un endroit. Du vide. Le vide d’un autre endroit. S’essuyer la bouche. Balancer. Grincer. Se relâcher. S’agripper. Entre les deux. Les verrous de la porte. Les deux eaux. Se recroqueviller. Se battre. Se débattre. Ramper. S’agripper davantage. Rejeter son corps à la vie. Sur la rive droite. Dans l’angoisse. Tourner en carré. L’image tremble. Les insectes reviennent. Et survolent l’angoisse. Courir. Tenir. Courir. Tenir. L’angoisse a peur elle aussi. Du vide. Du grand saut. Du grand saut dans le vide. Les verrous. L’angoisse. Fermer les émotions. Les survoler comme sur la piste. Décoller. S’éloigner. Dans un papier, en semi transparence, en semi opacité. Corps plié. La ville. L’envol. Le survol. Au ralenti. Devenir un ange. L’enveloppe de l’ange. Les ailes du désir, Wim Wenders. S’en défaire. Oui. La 7e Symphonie de Beethoven retentit. Des anges perdent leurs plumes de papier. «Secrète douleur. J’attends. J’irai. Par les chemins. A l’Ouest. Ensoleillé. Le numéro complémentaire. Les viandes contaminées. Je sais que la banquise…. Demain. Foutue. L’inflation. Un tsunami. La télévision. Le pétrole
La toile déchirée. L’orage. L’éclair. Le tonnerre. La 7e Symphonie de Beethoven. Aspiration. La neige. Un peu. Ou la pluie. Le vent. Le réchauffement de la planète. «Fondu. A la dérive. Demain… Demain… Demain… Demain, dès l’aube, dès l’heure où blanchira la campagne, je partirai. Vois-tu?»

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