vendredi 27 novembre 2009

Book of man - Texte de Ludivine Joinnot

«Nous avons perdu quelque chose quelque part. Définitivement et à jamais», nous lancent les auteurs de Book of man

Un danseur, seul, semble torturé. Il se roule sur le sol. Comme emprisonné par son corps. Une inquiétude permanente se dessine clairement sur ses traits. On apprend à lire en lui comme dans un livre ouvert. Il veut bien nous livrer les pages de ses peurs même s’il refuse de les nommer. Il veut bien clamer son mal-être mais pas les raisons de ses peines.
On apprend à lire en lui comme dans un livre ouvert. Et ce, de multiples manières. Ses mouvements, comme issus du hip-hop, favorisent l’articulation des épaules, du cou, de la tête. L’homme s’enferme dans des soubresauts. Bouger est un sport, une performance physique, un match de boxe. Son angoisse, visiblement encore en partie maîtrisée, s’extériorise pour mieux s’échapper ensuite. La danse habille et déshabille à la fois. On apprend à lire en lui comme dans un livre ouvert. Le corps se relâche, se désarticule, quitte l’angoisse, «s’arabesque». Il n’y a aucun répit pour la frayeur.
Sur grand écran, de gros plans du danseur, de son anatomie, de la joue au crâne. Histoire d’analyser à la loupe les causes de ses inquiétudes. Histoire de lire entre ses lignes de vie... Silence. La musique s’arrête. Un carré de lumière s’accroche au sol. L’homme s’y blottit, se tient le visage entre les mains, pleure, aboie comme un chien perdu. Il se recroqueville, rentre en lui. En mystère. En secret.
La musique est son ping-pong automatique. Il sent les vibrations de son corps. Le public, aussi. Sa gorge se noue. Il lui reste la tête toute entière pour s’exprimer. Sans mots. Sa bouche muette et son regard bavard nous diront ce qu’aucun mot ne parviendra jamais à dire. L’angoisse de la musique et celle du corps sont une lutte perpétuelle contre les idées, contre un cerveau comprimé dans une tête devenue trop petite. Restent les paupières pour danser. Un clignement et l’on devine les blessures de guerre. Le visage peut danser, lui aussi… Tout comme la respiration.
Un corps qui se promet de s’éloigner de la peur, qui se jette vers le monde extérieur, coexiste avec un corps qui n’accepte pas de sortir de sa cellule. Quand la douleur surgit, le danseur se crée une muselière. Son corps souffre d’une douleur intrinsèque dont on ne peut que prendre en compte la mesure, le lourd poids mais pas la dimension, ni la cause.
Le danseur crie, habitant d’une tribu anonyme. Des cris lui viennent des tripes. Toujours couché sur le sol, il établit le lien entre son corps et sa tête. Son esprit et son enveloppe corporelle. Il lève un bras vers le ciel comme en incantation. Il crie ensuite. Avant de porter les mains au crâne. Il répète des rituels, les enchaîne à l’identique. Encore et encore. Il garde enfermé un mal qui le ronge et dont il refuse de dire le nom. On apprend à lire en lui comme dans un livre ouvert. Il veut bien nous livrer les pages de ses peurs même s’il refuse de les nommer. Il veut bien clamer son mal-être mais pas les raisons de ses peines.
Il retourne au calme d’une respiration mieux maîtrisée. Il cherche à se détendre. Il revient. Plus léger… Il se met à nu. Au propre comme on figuré. Cherchant à nous montrer ce qui ne se voit, de toute manière, pas de l’extérieur. Il respire et s’exprime par le corps. Il n’en peut plus de souffrir. Il crie sa peine. Il aboie. Comme un chien. Petit à petit, sa douleur devient si grande qu’elle ne peut même plus s’évader par des vociférations. Son corps se crispe. Le public, aussi. Ne riez pas; il s’agit de douleur, pas d’absurdité. Vous vous moquez? Vous manquez de compassion, peut-être.
Nu. Le danseur est complètement nu. Il se recroqueville. Il se met à nu. Au propre comme au figuré. Il se couche au sol. Sur le ventre. Sur le dos. Il se rhabille, faussement gêné, avant de prendre la pause, encore nu. Son corps bouge, progresse, gagne en force, par sa nudité, par son naturel. Sûr de lui, il est incertain de sa douleur. Il se désarticule et se lâche. C’est beau comme une danse tribale.
Il faudrait se taire. Dans la société. Taire ses peines. Ne les dire à personne. Juste les montrer et attendre que quelqu’un les voie. La vie, comme un combat de boxe, en direct du ring de la rue. En direct des œillères des autres.
«Nous avons perdu quelque chose quelque part». Nous avons peut-être perdu notre capacité de regard, d’empathie pour l’autre. Quelque part, dans une rue. Il est temps de se mettre à chercher…

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