vendredi 27 novembre 2009

Clash - Texte de Ludivine Joinnot

Clash, c’est le fracas imaginé par Carmen Blanco Principal et interprété par deux adolescents, Ulysse et Tristan. Entre fiction et réalité, la transition de l’enfance à l’âge adulte s’énonce ici dans sa plus sincère vérité émotive. En plein bouleversement des corps et de l’esprit, ces deux jeunes optent chacun pour une méthode de communication et d’expression complémentaires: Ulysse joue de son enveloppe physique et danse pour parler; Tristan, lui, préconise le chant et la musique. Il y a dialogue, sur une espèce de ring de boxe. Il y a jeu, incompréhensions parfois, et surtout rage de vivre dans un monde qui ne suscite que l’interrogation et où chacun cherche sa place.
Clash cogne au plus profond du ventre du spectateur et fait une incursion brutale et violente dans le quotidien. Se conduire bien, se conduire mal, se conduire comme on peut, quand on à dix-huit ans et que l’on croit pouvoir changer le monde. Ulysse et Tristan donnent une gifle à l’humain au moyen du human beat box, du rap et du hip-hop. Ils tentent de se provoquer l’un l’autre autant que de provoquer le public. L’un parle anglais, l’autre français, mais cela n’exacerbe pas leur difficulté de communication.
Clash a quelque chose à raconter, un message à faire passer peut-être. Pour ce faire, le décor initial laisse voir neuf chaises dont huit sont occupées par des jeunes en sweat-shirt à capuche. On les voit de dos. Qui sont les deux «acteurs principaux»? Après une tentative de défi, Ulysse et Tristan, font comprendre que les six autres personnages ne sont que des mannequins destinés à servir de spectateurs également.
«Quand il était petit, il jouait au chevalier. Il jouait aussi avec des dinosaures», dans la bande son, la mère de l’un d’eux parle et se souvient: «C’est un enfant d’Internet […] Fascinant. A deux ans, il faisait déjà des perspectives impeccables. Il pouvait déjà dessiner quelque chose […] Il est très souple. Il était très fort pour tout. En sport surtout. Natation. Rugby. Il a suivi des stages de danse. Hip-hop, classique. […] Je voulais qu’il soit philosophe. Il a porté son choix sur l’architecture […] Sa plus grande qualité: être émotionnellement très fragile.» Comme une nostalgie de mère qui se souvient de son fils. Comme une fierté, aussi, à parler de son môme… Les mamans regardent grandir leur enfant et le coachent lorsqu’il se retrouve en plein match de boxe, encerclé dans un ring que Carmen Blanco Principal fait sortir du haut du plateau. Un match de boxe pour faire dire et bouger des adolescents en pleine révolution intérieure. Ring qui rappelle étrangement la cage de Slipping, la précédente création de cette chorégraphe, metteure en scène et plasticienne de formation.
La lumière. Tristan. Un rap. En anglais: «From the vain. Gravity. Yes. Defying the laws. Fuck your opinion. Yeah! […] I can’t just think…» Du human beat box, aussi. De la musique. Obsédante et vivifiante.
La lumière. Ulysse. Des mouvements de hip-hop jetés au sol. En français. Des insultes parfois lancées dans l’air. «Je te baise. Je te défonce. Je t’encule […] Le soleil se lève avec ou sans toi. Il en a rien à foutre […] Dieu aime regarder les gens. Pour son propre divertissement. Il établit des règles. C’est un refoulé, Dieu. Un proprio qu’habite même pas l’immeuble…» Des répliques de film que l’on croit reconnaître... «Je sais que j’plais pas à tout le monde. Mais quand j’vois à qui j’plais pas, j’me demande si ça m’dérange».
Un moment fort en image: des lignes blanches tracent un passage pour piéton sur le sol. Les deux adolescents traversent une rue. Comme au ralenti. Comme dans un clip. Pendant ce temps, des images sont projetées sur écran en fond de scène: un labyrinthe, la rue et ses enfants dans leur diversité… Faut-il suivre le chemin tracé ou tracer son propre chemin?
Tristan et Ulysse se rejoignent pour adresser leur message aux mannequins restés assis. Et au public par la même occasion. Par la technique du pochoir, ils taguent leur image un peu partout sur les murs de la salle. Laissant là des traces d’eux pour nous souvenir. «Et des milliards de figurants…» s’affichent au sol, en vidéo, comme autant de dessins psychédéliques. Ulysse danse sur les images projetées. Tristan chante pour les faire vivre plus encore. Zapping, bombardement. Images télévisuelles accélérées à l’écran.
Tristan part chercher un sac rempli de jouets, et la scène finale se prépare. Dans son dérangement, sa violence et sa brutalité. Dans sa rage de vivre, une fois de plus. D’un animal en plastique à un autre en peluche, il n’y a qu’un pas. Ulysse entre en transe. Ulysse entre en conflit. Après s’être, pour un peu, attendri devant toutes ces bribes de son propre passé, évanoui en partie, il casse tout. D’un objet à l’autre. Ses gestes sont jetés autant que les jouets. Déchirement. Le spectacle trouve ici tout son sens. Dans l’emportement et l’interrogation d’une paire d’adolescents. De ce Clash qui, peut-être, est le moment exact de l’entrée dans le monde des adultes.
Si l’on ne voit pas le temps passer, si l’on est ému et bouleversé, on reste sans voix aussi devant l’imagination et la qualité de travail d’Ulysse et de Tristan, qui gardent leur vrai nom pour monter sur scène. On sent cette liberté d’action qu’aura laissée Carmen Blanco Principal dans la possibilité de ces jeunes de clamer haut et fort leur propos. La trame savamment dessinée par la metteure en scène se lit et s’apprécie dans la place de choix laissée au message à faire passer.

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