mardi 17 novembre 2009

The end - Texte de Sébastien Noulet

«Je suis ici et il n’y a rien à dire. Si parmi vous, il y en a qui veulent aller quelque part, qu’ils partent…» Ainsi débute l’étrange exposé de John Cage, Lecture on Nothing, sur lequel vient se greffer la chorégraphie tout aussi étrange de Joanne Leighton. Lu et interprété par Odile Duboc, le texte explore le questionnement sur le sens des choses, sur la conviction que «nous ne comprenons rien et allons vers nulle part» et que toute structure, qu’elle donne forme à un courant de pensée ou à un morceau de musique, n’est pas éternelle. Après tout, quand John Cage rédige ce plaidoyer pour une remise en question de tout, la guerre a montré son vrai visage, d’une cruauté absurde et inhumaine. Selon lui, «il nous faut vraiment une structure pour voir que nous sommes nulle part».
Alors que la lectrice entame cette réflexion profonde ponctuée de propos proches du «n’importe quoi», les danseurs adoptent des mimiques soit en écho au texte, soit en décalage complet. Leurs poses de modèles surannés nous distraient, tels des élèves dissipés, de l’exposé. Sans prendre le temps de respirer, ils changent de costumes comme ils changent de registre… Le texte de John Cage, aussi. Du coup, il faut doubler d’attention, si l’on veut un tant soit peu capter un sens, du sens, dans ce non-sens…
L’exposé de Cage, structuré en parties, elles-mêmes divisées en unités, elles-mêmes en subdivisions, est faussement absurde. «Peu à peu, soudain, de plus en plus», on comprend que John Cage, compositeur, a écrit son texte comme une partition, avec des intervalles, beaucoup d’intervalles, et des répétitions, beaucoup de répétitions… Ce partisan de la «table rase» nous explique entre autres comment «peu à peu, soudain, de plus en plus», il a commencé à «entendre les sons, comme s’ils n’avaient pas été usés», un son «écouté directement avec l’oreille», identique et à chaque fois nouveau.
Au fur et à mesure, on comprend que s’il déclare sans détour «je ne parle de rien et bien entendu, je continuerai à parler pendant longtemps», il ne parle pas non plus pour rien. Et la chorégraphie, qu’elle s’éloigne ou se rapproche du sens des paroles, nous interroge sur la nécessité de regarder la danse sans passer par l’intellect, sur la nécessité d’oublier les référents.
En fin de compte, c’est un éternel retour à la case départ, une expression plurielle de l’incertitude profonde de la valeur de l’acquis. À l’exemple de cette danseuse que Joanne Leigthon habille d’innombrables couches de vêtements et qui, dans une sorte de jeu de gigogne, découvre d’autres images d’elle-même par le simple fait de les retirer une à une.
Cet état de fait nous ramène où nous en étions avant de reprendre ce que nous avions laissé après avoir arrêté ce que nous avions entrepris. En d’autres mots, avec ses mots, si «nous avons le sentiment d’arriver nulle part», c’est qu’«à l’origine, nous n’étions nulle part»… Décapant.

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